A travers l'Europe (9)

Le sentier devient raide et étroit, je dois continuer à pied. Je cache mon vélo derrière un petit fourré, et, à l’aide de mes deux antivols mastodontesques, l’accroche consciencieusement à une petite racine toute chétive – je ne trouve pas mieux. Je ne suis pas tranquille: « Et si on me volait mon vélo, devrais-je mettre fin à mon voyage? Que ferais-je? Que deviendrais-je? ». Je détache toutes mes sacoches, et me mets en bandoulière autour du cou le sac à gravats qui contient ma tente et mon sac de couchage. Dam me dit que je peux tout laisser ici, qu’il n’y a pas de voleurs en Croatie. Avec de grands gestes incompréhensibles, j’essaie de lui expliquer à quel point je suis attaché à mon matériel – c’est tout que ce j’ai, ma maison, ma vie, ma bohème.

Franchissant ronces et rochers, la descente en sandales avec tout mon barda est un peu laborieuse, j’ai la vague impression de manquer d’allure, et je sens que Dam se moque gentiment de moi. Bêtement, je songe à mon compteur de kilomètres. Il ne tourne plus, ma moyenne journalière va baisser. Je me trouve idiot de me préoccuper d’un tel détail face à un tel décor. Il faudrait vraiment que j’apprenne à apprécier la beauté du monde, et que je me retire de la tête cet irrépressible désir de performance. La nature est calme, resplendissante, le ciel parfaitement bleu, sublime; et moi, je pense à mon compteur, à un petit cadran gris!

Nous arrivons sur la plage pleine de galets. Devant une petite tente joliment décorée, la femme de Dam, Floria, fait la lecture à la petite Milijan. Le voilier attend paisiblement à quelques dizaines de mètres du rivage.

Dans un crépuscule naissant, face à la mer qui déroule ses vagues mordorées, Dam allume un petit feu, puis sort fièrement de l’eau une grosse bourriche pleine de poissons. Je crois deviner que ce qu’il crie en croate avec un enthousiasme vraiment communicatif à une signification proche d’un « Ce soir, c’est poisson grillé à volonté! ».

Floria parle un français maladroit, elle joue la traductrice et hésite longtemps avant de prononcer certains mots. Farouche, Milijan s’est réfugiée dans la tente. Elle nous écoute, et dès que je prononce un mot français, elle sort la tête de la petite abside et le répète à voix haute en rigolant: « Baguette », « Camembert »… Attirée par l’odeur du poisson grillé, elle finit par se joindre à nous. Moi, je suis un peu comme Milijan, je répète les mots croates, je les trouve étranges et m’en amuse. Je suis souvent maladroit dans ma prononciation, ça fait rire Milijan et sourire ses parents. La soirée s’écoule ainsi, tout doucement.

Puis la nuit tombe. Jusqu’alors, je ne me soupçonnais pas que le ciel soit si riche en étoiles. Dam se lève, saisit un grand bâton, et comme un professeur d’astronomie nous montre les constellations. Elles ont de si jolis noms en Croatie!

Charmé par le crépitement du feu, bercé par le bruit des vagues, mes paupières se ferment toutes seules. C’est la première fois que je dors à la belle étoile. Altitude: zéro, un commencement.

2 commentaires:


  1. Merci, ça me change de la monotonie bretonne et du crachin... Et ça donne envie de partir! Bon j'avoue, si je fais pas 150km dans la journée, ça me rends malade aussi ;)

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  2. Merci Gaby! Tu as l'air d'être un sacré rouleur. En tout cas, je suis content d'être lu!



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