A travers l'Europe, Brouillons sans feu ni lieu (mis à jour le 12/09/12)

Mise à jour le 12/11/2013 : le texte a été modifié, il est disponible sous format PDF à cette adresse : http://atla.over-blog.com/article-l-etoile-de-sinope-119718733.html
Brouillons sans feu ni lieu* regroupe des versions retravaillées des textes 1 à 17 d'A travers l'Europe. (*Etre sans feu ni lieu signifie vivre sans domicile, avec peu de choses, à la façon d'un vagabond.) Pas sûr que ce soit lisible, fluide, compréhensible, mais j'ai pris du plaisir à écrire, et vous proposer ce texte ne me coûte pas grand-chose... le voici donc:


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A travers les Alpes,
Brouillons sans feu ni lieu
Mise à jour le 12/11/2013 : le texte a été modifié, il est disponible sous format PDF à cette adresse : http://atla.over-blog.com/article-l-etoile-de-sinope-119718733.html
Ce jour-là, comme tous les matins, je sors mon vélo. Mais cette fois, arrivé au bout de la rue, au lieu de tourner à droite pour aller travailler, je tourne à gauche. Cette fois, au lieu de n’avoir sur mon porte-bagages qu’un antivol, j’ai ma maison: ma tente, mon sac de couchage, mon oreiller, mon assiette, mes couverts, ma brosse à dents. Je vais moins vite que d’habitude, j’ai du mal à trouver mon équilibre, j’évite de justesse, voire d’extrême justesse, la chute à chaque fois qu’une voiture me double. Je quitte l’agglomération grenobloise, le voyage commence.
Le premier soir, j’allume pour la première fois mon réchaud. En faisant craquer l’allumette, tout frémissant, je redoute que la bonbonne de gaz m’explose à la figure. Puis, comme devant un objet magique, je m'émerveille en regardant les petites flammes bleues de mon Butagaz.
Face au glacier orangé de la Meije, je déguste mon premier bol de riz. J'ai sous les yeux une des plus belles cartes postales du monde, j'en suis à peu près convaincu. Lorsque je suis face à un beau paysage, je me sens triste, car je sais que je l'oublierai. Je voudrais pouvoir m'en emparer et le mettre pour toujours dans ma vie, le rendre éternel. C'est pour cela que je prends des photos, mais au fond, je sais bien que c'est illusoire et que, quels que soient les artifices utilisés, le temps effacera tout. L’oubli finit par emporter chacune de nos émotions, chacun de nos souvenirs; écrire est un acte de résistance bien souvent dérisoire, mais que faire d’autre? Se résigner? Allons!
En dînant, j’écoute sagement les clapotis de la Romanche et songe à la longue aventure qui m'attend. Jusqu'où irai-je? Me voici seul face au monde. Je suis à la fois inquiet et euphorique. J'ai mal au genou depuis des semaines, mes limites physiques me font douter, mais d'un autre côté, ma motivation est si grande que je garde confiance. Si mon corps fléchit, je ménagerai mon allure; s’il le faut, je n’avancerai que d’un kilomètre par jour, mais il est hors de question de renoncer.
J'aperçois au loin un cycliste qui s'approche. Il a des sacoches, c’en est un! Il s’arrête tout naturellement, et, autour de ma casserole de riz, nous engageons la conversation. En bon breton, il est parti de Brest et va jusqu'à Menton. Il relie l'Atlantique à la Méditerranée. Il en rêve depuis des années. L'an dernier, il était parti de chez lui et avait conquis l'Alsace. Il regarde mon vélo qui est, au bas mot, deux fois plus chargé que le sien, et me demande d'où je viens. Je me sens un peu bête. Je ne viens que de Grenoble, c'est mon premier jour, c'est mon premier voyage. Il me demande où je vais. Décidément, je me sens vraiment bête. Je suis très ambitieux et lourdement inexpérimenté, je n'ose pas dévoiler mon objectif. De quoi aurai-je l'air si je dis à tout le monde que je pars pour la Grèce, et que finalement je rebrousse chemin au bout de trois petits jours?
J'ai affreusement peur de bivouaquer seul dans la nature. C'est la première fois que ça m'arrive. Je me demande si je vais réussir à trouver le sommeil, mais heureusement, José me propose de monter un campement "collectif". Par sa présence, je me sens rassuré. Après une bonne heure de montage, au grand étonnement de José, je réussis à faire entrer dans ma tente, et mon vélo et ma personne. Ca rentre juste juste. Je suis un peu à l'étroit, mais en restant vigilant, je peux réussir à me retourner sans me prendre un coup de guidon dans la figure. Grâce à la fatigue, je m'endors assez facilement sans même avoir le temps de songer aux attaques à main armée, aux kidnappings, aux sangliers, à la maladie de Lyme, aux loups et aux voleurs.

*
D'habitude, le matin, lorsque je me réveille, je sais où je suis. D'habitude, le matin, lorsque je me réveille, c'est pour vivre une journée que je connais déjà.
Subitement, tout est différent: je me crois dans mon lit, j'ouvre les yeux et ne sais plus où je me trouve. Mon voyage me revient en tête, je me sens tout excité. Ce soir, serai-je en Italie? Où dormirai-je? Dans un alpage, dans une forêt, au bord d'une rivière? Vais-je rencontrer des voyageurs? Par où vais-je passer? Le Mont Cenis? Le Galibier? Le Montgenèvre? Y aura-t-il des marmottes? Je me lève, et prends conscience que, désormais, chaque jour, j’écrirai ma vie, qu’elle ne me sera plus dictée. Je me dis qu'il n'y a pas de temps à perdre, qu'il ne faut pas que je gâche la moindre seconde de liberté. Plus tard, lorsque je vivrai à nouveau la routine d'un monde que je n'ai pas vraiment choisi, j'aurai le droit d'être paresseux, mais là, tout de suite, maintenant, il n'en est absolument pas question.
*
Bref, après avoir ingurgité trois bananes et un litre de jus d'orange, je démarre ma journée avec une énergie débordante. A moi l'Italie! Mais très vite, mon organisme me rappelle à l'ordre, et, sur les pentes du Lautaret, mon coup de pédale perd en fluidité. J'ai mal aux fesses, au genou droit, puis au gauche, je m'arrête une fois, puis deux, puis tous les kilomètres. Des automobilistes viennent jusqu'à moi pour me demander si "ça va". A midi, j'ai grimpé dix kilomètres. Plus que trois mille pour arriver au pays de Diogène.
Un soir en me couchant, écoutant France Culture, je suis tombé sur une discussion traitant de Diogène, et il me semble que ça a provoqué un déclic en moi. Dormir dans une grande amphore, ne rien posséder, se nourrir de soleil, ne pas désirer autre chose que ce que la Terre nous donne, se suffire à soi-même, c’est vraiment beau. Franchement, à quoi rime de courir après un ordinateur toujours plus puissant, une maison toujours plus grande, une voiture toujours plus chic, un salaire toujours plus élevé, une fonction sociale toujours plus reconnue… le toujours plus, ce n’est que du vent, de la perte de temps… certes, ça peut aider à oublier la dimension tragique de la vie, mais ça nous fait passer à côté de l’essentiel.
Je vois en Diogène un sublime Zarathoustra de l’écologisme: il n’exploite pas la Terre, il la respecte, il vit avec elle, il prend exemple sur la nature. J’aime sa façon de concevoir la vie, et j’essaie de m’en inspirer; mais devenir ascète est un travail long et difficile, et je reste encore un élève vraiment très médiocre. Quoi qu’il en soit, Diogène de Sinope a influencé mon idéal de vie, et par extension mon idéal de voyage.
J’imagine que dans l’Histoire, beaucoup d’hommes ont fait le choix de l’ascétisme, et Diogène, qui a connu une gloire relative, n’est pas forcément le meilleur d’entre eux. Il n’est pas resté dans l’anonymat, ce qui peut être critiquable pour un ascète, mais en s’exprimant haut et fort, au moins il s’est fait entendre.
Au Col du Lautaret, un grand curieux sur un tout petit vélo vient me voir. Il me demande pourquoi je pars. J’ai du mal à comprendre la question. Je ne sais pas quoi répondre. Et toi, pourquoi tu restes? L’explication est à la fois si longue et si évidente. Je ne dis rien, je souris gentiment, je lui offre une banane.
Tous les enfants ont des rêves, et chaque enfant a sa vocation. La société est sourde, n’écoute personne, nous attrape, et détruit, une à une, toutes nos vocations. Je me souviens des belles ambitions de mon enfance. Je voulais aller au bout du monde, je voulais garder des moutons, marcher au bord des dunes. Puis, les années passent, et on finit comme tout le monde, enchaîné à la chaîne. Plus le temps de sourire, plus le temps de regarder les nuages, plus le temps de rêver. On nous dit que c’est comme ça la vie, et qu’autrement, ce serait pire. Voilà, si je pars à vélo, c’est pour dire non à tout ça, pour choisir ma vie.
Et maintenant, où aller? Hier, au premier coup de pédale, je n’avais encore aucun itinéraire précis en tête; ce qui comptait, pour moi, c’était de partir loin. Au Sud, je serais rapidement bloqué par la Mer; à l’Ouest, par l’Océan; il me restait donc l’Est ou le Nord; très ambitieux, j’ai choisi de partir vers l’Est, en me disant qu’au fil des jours, suivant mes affinités, je me laisserai guider par mes découvertes. Face à la Meije, je songeais à la Grèce, mais au Lautaret, j’ai encore le choix; le choix entre d’un côté: le Galibier, l’Allemagne, la Suède, la Norvège - et de l’autre: le Montgenèvre, l’Italie, la Croatie, la Grèce. En somme: le choix entre le Grand Nord et le Grand Soleil. Il faut que je prenne une décision. Je m’assois face aux neiges éternelles, il fait beau et doux, je songe à l’avenir de mon voyage, à l’histoire que je vais vivre. Instant crucial. Puis, je me décide; ce sera Diogène, je vais en Grèce.
*
Je passe la frontière italienne en fin de journée. Il y a dans l’air comme un parfum d’été. Je ne sais pas où planter ma tente, j’hésite longuement, prends le temps d’étudier la topographie du terrain, de peser avec grand soin chaque risque: en forêt, il y a les sangliers; dans les prairies, il y a les tiques; en altitude, il y a la foudre. La nuit tombe, mes paupières s’alourdissent, et je finis par m’installer dans le noir au milieu de nulle part.
Le lendemain, je traverse un petit village au cœur des montagnes. Près d’une maison parsemée de vélos, une vieille dame me regarde avec des grands yeux, elle me sourit avec insistance. Je m’arrête. Elle me demande jusqu’où je compte aller, puis elle me parle du voyage de son mari, du Voyage d’Olmo. Je ne parle pas l’italien, mais elle y met du sien, et curieusement, son enthousiasme est si communicatif que je la comprends. Il y a cinquante ans, Olmo est parti de chez lui, de ce petit village, et est allé jusqu’au Cap Nord.
Il arrive. Il est immense. Sa femme lui parle de mon voyage. Je me plains du poids de mon vélo: cinquante kilos, c’est dur à soulever! Olmo m’explique qu’à l’époque, il était aussi mince que moi. Avec l’âge, il a pris un peu de poids, et il sourit à l’idée que moi et mon chargement sommes plus légers que les cent vingt kilos de son seul corps. Il me parle de sa belle époque, des élans, des jours de pluie, du grand froid, des couchers de soleil interminables; puis, après son voyage, il a fait sa vie avec les montagnes et son vélo, il évoque l’Agnel, l’Izoard, la Lombarde, le Galibier, l’Iseran. J’espère qu’à son âge, j’aurai un aussi beau jardin. Je le comprends, il me comprend; Olmo n’a pas besoin de me demander pourquoi je pars.
*

Sous un grand ciel bleu, c’est avec un petit pincement au cœur que je descends vers Suze. Plein d’euphorie, je pars vers l’inconnu; plein de tristesse, j’abandonne les Alpes.
Tout petit, j’ai grandi à la campagne; puis, encore enfant, je l’ai quittée pour habiter en ville. J’ai connu la banlieue parisienne. A l’école, dans ma chambre, près du radiateur, dans les rues, il n’y avait que le béton inerte et gris. Dans ce monde sans horizon, je rêvais de grands espaces, je rêvais désespérément. Et puis, un jour, j’ai découvert les montagnes. J’ai commencé par les regarder de tout en bas; puis, tout doucement, je les ai approchées; et depuis, je ne les ai plus quittées.
J’aime la beauté des montagnes, et lorsque je suis loin d’elles, je me sens mal. J’ai besoin d’avoir des sommets autour de moi. Ce sont comme des étoiles, des étoiles sur lesquelles je suis allé, sur lesquelles j’ai laissé des souvenirs. La semaine dernière encore, lorsque travaillant, je traversais un petit moment difficile, il me suffisait, pour me déconnecter de la réalité un peu triste et monotone, de caresser des yeux les cimes de Belledonne. De mon poste, je détournais légèrement la tête, puis relevais le regard de quelques degrés pour franchir les barrières de béton, et en une seconde à peine, je quittais ma blouse pour me téléporter au sommet de la Grande Lance de Domène, retrouvant ainsi la beauté des crêtes et la sérénité des bouquetins.
En somme, je sais précisément où trouver mon paradis, il n’est pas à l’autre bout du monde, il est tout simplement au-dessus de chez moi; et en lui tournant le dos, je me demande si je fais le bon choix. Pourquoi ne pas rester avec les montagnes?
Le besoin de fuir, d’aller vers le lointain est plus fort. Il y a des âges où mener un combat est plus attrayant que de vivre dans la lassitude du bonheur. Je veux parcourir un chemin, construire une histoire; et pour cela, je crois être prêt à abandonner mes montagnes bien-aimées, à me plonger dans les tourments des plaines surpeuplées. Peut-être que plus tard, je deviendrai plus sage et que la contemplation d’un paysage suffira à mon épanouissement. Dans un petit coin de ma tête, je songe déjà à ma retraite. Au détour d’une aventure, j’espère trouver, un jour, une jolie petite clairière au bord d’un grand lac. L’endroit serait si charmant que je m’y arrêterais un jour, puis deux, puis toute une vie. Entre les sapins, je bâtirais une petite maison en bois. J’abandonnerais alors le lointain, sans toutefois renoncer à contempler l’horizon. De temps à autre, un ours passerait devant ma fenêtre, on se regarderait dans le fond des yeux. Le matin, je monterais dans ma petite barque pour pêcher en contemplant les montagnes bordant mon joli lac. Les soirs de pleine lune, je m’assoirais en tailleur au bord de l’eau, et, en écoutant le hululement des chouettes, je plongerais mon regard dans le reflet bleuté de la voute céleste. Il n’y aurait plus de bruits, mais seulement une musique, le souffle du vent, le chant des oiseaux, la beauté du silence.
*
Je me dirige vers Turin. La route est longue, le soleil brûlant, les voitures de plus en plus nombreuses. A chaque coup de pédale, j’ai peur de me faire renverser par ces monstres mécaniques et bruyants qui ne savent s’exprimer qu’à coups de klaxon. Quelle pauvreté de langage! Quel manque de courtoisie! Il a fallu aux dinosaures des centaines de millions d’années pour peupler la Terre, aux hommes des dizaines de milliers d’années, et aux voitures quelques petites décennies. Elles sont partout. A chaque instant, à chaque coin de rue, à chaque coin de paysage, elles sont là. On croit les posséder, les domestiquer, mais ce sont elles qui s’imposent à nous, qui imprègnent nos cerveaux, qui nous mettent en boîte, qui nous rendent fainéants; ce sont elles qui détruisent les paysages, qui érodent les écosystèmes, qui agressent le silence, qui interrompent les rêveries, qui enlaidissent le monde.
En voiture, le monde n'est pas vivant; on ne le ressent pas vraiment; un peu comme derrière un écran, il ne fait que passer, défiler en accéléré. A vélo, on va plus doucement; le temps ralentit, les paysages s'agrandissent; les reliefs et les distances se font physiologiquement ressentir; on écoute les bruits, on remarque les détails; en somme, on vit avec le monde.
Distrait par ces petites considérations, ce n’est qu’en entrant dans la banlieue de Turin que tout déconcerté, je constate que je n’ai plus de selle. Il faut dire que ma selle me faisait très mal aux fesses, et que depuis le début du voyage, j’ai tendance à rouler essentiellement en danseuse. Bref, après avoir modifié quelques réglages sur mon vélo, j’ai oublié ma selle sur le bord de la route; et les kilomètres sont si monotones que je ne sais plus vraiment où je l’ai abandonnée. A contre-cœur, je fais demi-tour pour la retrouver. Il me faut à nouveau affronter les hordes continues de voitures. Vingt kilomètres plus loin: toujours rien, je désespère, mon voyage n’a absolument aucun sens. C’est dans le fossé que je la retrouve. D’une main victorieuse, je la saisis et me rends compte qu’elle n’a plus de rails: une voiture lui a roulé dessus! Cinquante kilomètres à pédaler dans la chaleur et les gaz d’échappement pour rien. Je suis amer, je ne supporte pas l’idée de gâcher aussi bêtement mon voyage; ce voyage auquel je songe depuis si longtemps; ma vie rêvée.
Que dire de Turin? A mes yeux, les grandes villes sont toutes semblables. Je suis de moins en moins sensible aux beautés urbaines, aux illusions du marketing, et je n’y vois aucun charme. Je ne connais que trop bien ces rues où tout est fait pour être utile, où tout finit par être laid. Toutes ces publicités, toutes ces sollicitations, tous ces gens qui ne regardent nulle part, qui semblent absents, à peine vivants; enfermés dans leur voiture, prisonniers des téléphones. Tous ces visages sans expression, toutes ces vies pleines de désillusions. Est-il possible de créer de l’harmonie dans du béton? Les grandes villes nous façonnent tous de la même manière, et dissipent insidieusement nos singularités. Terres de captivité. L’ivresse du brouhaha ne me séduit pas, j’ai soif d’aventure, de silence et de solitude. Aussi vite que possible, je quitte Turin sur une nouvelle selle et avec une nouvelle carte. Mais où aller? Il faut que je me déshabitue à obéir à l’habitude, et que constamment je fasse l’effort de choisir un cap à suivre.
Accompagnée d’une fine pluie, la nuit tombe, mais je ne m’arrête pas. J’éprouve l’impérieux besoin de fuir, de pédaler à contre-courant, de quitter la plaine industrielle du Pô pour remonter une petite rivière, m’élever en douceur, m’enfoncer peu à peu dans un milieu sauvage.
A trois heures du matin, mes paupières sont un peu lourdes. Depuis quelques temps déjà, tout autour de moi, il n’y a plus d’immeubles, plus d’usines, seulement des champs euclidiens et stériles. La pluie recommence, et pour m’abriter des gouttes, je m’assois sous le porche de l’unique maison croisée ces deux dernières heures.
En mangeant ma dernière banane, je m’interroge, j’hésite entre continuer et m’arrêter pour dormir. J’ai peur de planter ma tente au milieu de nulle part. Bivouaquer loin des montagnes, c’est un peu comme dormir hors de mon lit. Dans ces champs à perte de vue, sous un ciel bâché par les nuages, il n’y a aucun arbre protecteur, aucun panorama, aucune étoile, rien de bien enchanteur. De la terre et des cailloux. Ces lieux ne m’inspirent pas confiance. Je redoute le propriétaire de mauvais poil, le chasseur un peu trop réactif, l’automobiliste un peu trop curieux, et les sangliers.
Je me retourne et examine le porche, je pourrais m’allonger sur le sol quelques minutes. Un volet dégondé, les fenêtres cassées, la baraque a l’air abandonné. Je m’aventure, j’appuie sur la poignée, ça s’ouvre. J’hésite à entrer, il pourrait y avoir des souris, des cafards, des mygales, des scorpions, des poux, des tiques, des seringues, des vipères, des rats, des chiens, des cadavres, des chauves-souris enragées, des squatteurs tuberculeux, des schizophrènes lunatiques ou je ne sais quoi. Je pèse scrupuleusement les bénéfices et les risques, je les mets en balance. Puis trop fatigué pour continuer à réfléchir, trop trempé pour rester dehors, je pousse la porte.
A l’abri des courants d’air, dans un coin d’une grande pièce noire et vide, je ferme les yeux en écoutant les volets claquer. Je ne suis pas très rassuré. Peu à peu, je sombre dans une léthargie anxieuse fréquemment interrompue par d’innommables bruits qui me réveillent en sursaut. Ma nuit est ponctuée d’étranges cauchemars. Un rat entre dans mon sac de couchage, il me passe sur le corps et me mange le petit orteil. Puis, il remonte, se met sur le bout de mon nez et m’explique que si demain soir, mes orteils n’ont pas meilleur goût, il me mangera les oreilles.
*
Le lendemain, trop impatient d’atteindre la Slovénie, manquant de bravoure, je contourne soigneusement les reliefs, je contourne lâchement les reliefs, et pédale à travers des champs, des champs de terre à perte de vue. Il n’y a rien ni personne. Je m’engouffre dans la vaste platitude d’un territoire aux paysages vides. Je ressens l’absence de la civilisation, et commence à douter de la valeur de mes idéaux. Ma motivation décline; à quoi bon pédaler si le motif s’imprimant sur ma rétine reste toujours le même? Je suis parti pour vivre une aventure, pour découvrir des gens, des collines, des montagnes, des mers et des îles, et je me retrouve au milieu de nulle part. La chaleur est insupportable, je suis en sueur, ma peau crame. Durant des heures, je rêve d’un coin d’ombre et de douces couleurs.
Je finis par trouver un petit arbre. Je m’allonge, et je regarde, à travers les branches, le bleu du ciel. J’ai tellement tort d’investir dans l’avenir et de renoncer au moment présent, tort de me dépêcher d’être loin. Les nuages sont tellement beaux. Voyager, ce n’est pas foncer tête baissée vers un objectif en fixant le bitume; voyager, c’est sortir de l’agitation du monde; voyager, c’est regarder les nuages.
Ce n’est pas si facile de regarder les nuages, de les regarder vraiment, de ne plus se laisser distraire par toutes ces choses qui n’en valent pas la peine. Un regard, c’est une petite chose très fragile. Il suffit d’un bruit pour qu’il prenne la fuite. Il a soif de liberté, il ne faut rien lui imposer, il faut le laisser butiner les images qui le séduisent, il faut lui laisser le temps de récolter chaque nectar avec soin. Avec l’âge, il grandira, ses formes s’affirmeront; et un jour ou l’autre, il finira par devenir voyage.
Le voyage est une discipline de la liberté. Renoncer à cette discipline, c’est être condamné à l’errance. Il faut se laisser porter par le vent, mais toujours rester attentif et vigilant, manœuvrer au moment opportun afin de ne pas se laisser emporter. Non finalement, je saisis le gouvernail et change de cap: marre des plaines agricoles, j’oblique vers la Lombardie. Dans mon imaginaire, la Lombardie est un paradis ayant inspiré Stendhal, un paradis composé de grands lacs bleu turquoise, de douces montagnes, de forêts et de châteaux. En attendant mon entrée en terre romanesque, pour combler le vide des champs désespérément vides, je pédale en imaginant de grands tableaux. J’ai la tête ailleurs, je voyage. J’imagine un grand lac, un beau château, des cygnes et des roseaux, un grand lac, un beau château, des cygnes et des roseaux… le temps est long, l’ennui approche. Heureusement, un joli petit village à la chaleur et aux couleurs italiennes vient à ma rescousse. Ayant du mal à accepter que mon voyage ne soit pas à la hauteur de mon attente, il faut que je fasse une folie. Je vais à la crémerie de la place du village, et achète 400 grammes de gorgonzola que je mets entre deux grosses tranches de pain. Mon goûter interloque une mamie, elle sourit. La vie est calme, je m’installe sur un petit banc abrité du soleil par l’ombre de l’église, aucune voiture ne passe, il n’y a que le chant des oiseaux.
L’homme riche n’est pas celui qui veut toujours plus, c’est celui qui sait s’asseoir sur un banc et rêver durant des heures; encore très pauvre, je n’en suis qu’à quelques minutes.
En fin de journée, j'arrive au Lac de Lecco. J’espérais bivouaquer au bord de l’eau, profiter d’un clair de lune en compagnie de quelques cygnes. Hélas, le lac n’est pas bordé par la nature, mais par les voitures… les supermarchés et le goudron. Nouvelle désillusion. Pour dormir au bord de l’eau, il me faut sortir des billets, installer ma tente entre deux caravanes et dix voitures, endurer le bruit d’une sono et les odeurs de fritures.
Je dîne: au premier plan trois camping-cars; en arrière plan, des barres d’immeubles. Trop de lumière, pas d’étoiles. Ce que je reproche aux grandes villes, c’est de faire disparaître les étoiles.
Recouvert de cinquante boutons de moustiques, je me réveille en nage face à quatre camping-cars. Dans les sanitaires, les enfants chahutent, des assiettes se cassent. Un prof de gym hurle dans un micro. Il est dix heures, je découvre les joies du camping. J’aurais tellement préféré me réveiller dans le silence. Pas dans un silence vide; non, le silence que j’aime est rempli des petits sons de la nature. Le silence que j’aime, c’est le bruit du monde sans les hommes. Pas sans l’homme, sans les hommes. Trop souvent, les hommes parlent si fort, vivent si fort qu’ils ne laissent pas les petites choses de la nature se faire entendre. Il faut éteindre les moteurs, il faut se taire pour écouter le chant des roseaux, les concerts de crapauds, les monologues du hibou. En parlant à voix basse, en marchant à pas doux, on peut ne pas faire fuir le silence, ne pas l’effrayer. J’aimerais tellement vivre dans une société qui chuchote. Si on écoutait les oiseaux chanter avant d’ouvrir la bouche, on dirait sans doute moins de bêtises.

*

Je n’avance plus. La chaleur, le béton, les voitures m’étouffent. Je veux fuir, mais je n’en ai plus la force. A treize heures, je n’ai que cinq kilomètres au compteur.
J’ai la nausée. Sur mon chemin, je ne croise que des supermarchés. J’entre dans l’un d’eux en espérant trouver un petit quelque chose d’appétissant. En divaguant entre des rayons pas très inspirants, je retrouve un peu de joie de vivre: pour la première fois depuis le début de mon voyage, j’entends des chansons.
La nuit finit par tomber, et c’est pour moi l’occasion de prendre la fuite. L’obscurité voile la laideur des zones industrielles, la fraîcheur nocturne succèdent à la fournaise diurne, les voitures se raréfient, l’angoisse disparaît, le silence se lève, et mon coup de pédale devient plus léger. L’obstacle me semble enfin franchissable; minuit passe, il ne faut pas que je me relâche, c’est le moment de fuir. Et si mes paupières commencent à s’alourdir, je me gaverai de sucres pour tenir le choc. Demain, il faut que je sois loin.
*

Une journée s’écoule. Puis, au petit soir, j’atteins le sommet d’une colline, le Lac de Garde apparaît, se découvre à perte de vue, je le surplombe. Il est si grand! Je n’en vois pas le bout! J’ai l’impression d’être au bord de la mer. Le calme est enchanteur. Songeant à l’horizon, je reste un long moment sur mon promontoire.
Par un petit sentier oublié, je descends jusqu’au bord de l’eau. Un pêcheur solitaire m’explique que le Lac de Garde a la forme d’un gros jambon, et que nous sommes au niveau de la partie large du jambon. Ca fait trente ans qu’il pêche dans le Lac de Garde, il n’imagine pas qu’il puisse exister un lac qui soit plus beau que le sien.
En poussant mon vélo, je longe le rivage et ne rencontre que des oiseaux. Je m’arrête quelques temps devant des bébés cygnes. Le ciel devient orange, je trouve un petit endroit pour installer ma tente, puis m’assois entre mon campement et le lac.
L’air est doux, le soleil s’estompe, l’atmosphère devient mystérieuse, flottante. Comme un enfant, je découvre des perceptions nouvelles. Entrer dans l’âge adulte, c’est apprendre à habiter un monde que l’on connaît, c’est perdre la capacité de s’émerveiller. Partir à l’aventure, c’est reconquérir le goût de la découverte, c’est reconquérir son enfance.
Face à mon petit Baïkal, je ne me soucie plus des heures et des secondes. Le temps s’échappe. Le passé et l’avenir se dissipent à travers les vapeurs du soir. La gravité terrestre laisse place à la légèreté onirique. Il faut que la nuit tombe pour que surgissent les étoiles.
En se faisant silencieux, chaque petit son de la nature éveille en nous une émotion; de sorte qu’être seul en pleine nature, c’est un peu comme apprendre à s’écouter soi-même. On a tort de séparer l’homme et la nature, il n’y a que l’homme dans la nature; un paysage n’existe qu’à travers un regard; et en contemplant la nature, c’est sa propre nature que l’homme contemple.
*

Le lendemain, me sentant tout léger après un sommeil régénérateur, une voiture toute rose pleine de gyrophares trouble ma sérénité en me lançant aux oreilles, dès le petit matin, de violents coups de klaxons. Elle est suivie d’une deuxième voiture pleine de gyrophares, puis d’une troisième, puis d’une quatrième, puis d’une colonie de camions. Sur chaque véhicule sont plaqués des autocollants « Gazetta dello Sport ». Des motards viennent à mon niveau, je leur dis bonjour, ils ne me répondent pas. Ils me demandent de m’arrêter, de me mettre sur le bord de la route. J’obéis et regarde passer un peloton de coureurs, puis les lâchés, puis les pauvres abandonnés dans la voiture balai. Triste univers que celui de la compétition où comme au temps des dinosaures, où comme au temps des capitalistes, seule la loi du plus fort gouverne.
Le capitalisme se permet trop souvent d’user de l’homme comme d’un outil destiné à générer de l’argent. L’homme n’est alors plus une finalité en soi; utilisé, il se vide progressivement de sa consistance poétique. Dès leur plus jeune âge, on éloigne les enfants de leurs rêves: on les note, on les classe, on les met en compétition, on leur enseigne la performance, on les soumet aux angoisses de la sélection; et il n’est pas facile pour les nouvelles générations de se débarrasser de ces sinistres addictions. Lorsqu’il quitte l’école, l’élève qui se battait pour avoir les meilleures notes sent un grand vide l’envahir. Dans un monde où la compétition n’existe plus, le compétiteur doute de sa valeur, il ne peut plus se comparer. Subitement, il perd ses repères, mais heureusement, la compétition sportive est là pour faire de l’autre un adversaire, pour répondre à la question cruelle et primitive, martelée par l’époque : « Miroir, mon beau miroir, suis-je le meilleur ? ».
Il faut être naïf pour se croire meilleur que les autres. Croire en de pareilles balivernes, c’est oublier que chaque effet a ses causes et que chaque effet devient cause d’autres effets. Un grand nombre de paramètres influent une performance, certains sont dépendants de notre volonté, mais la grande majorité en est indépendante. Une performance exceptionnelle est avant tout le fruit d’une combinaison heureuse d’aléas bien plus que la récompense légitime et proportionnée d’un travail. Prenez l’homme le plus endurant du monde, ne touchez pas à sa volonté, diminuez simplement son taux d’hématocrite, la saturation en dioxygène de ses globules rouges, modifiez quelques nucléotides de son code génétique, vous obtiendrez un homme physiologiquement ordinaire qui, même en allant jusqu’à puiser au fond de lui-même, ne parviendra jamais à se distinguer dans le milieu du sport. Toute hiérarchisation des individus est illégitime.
La médiacratie accorde à la performance sportive une valeur démesurée et ne reconnait pas à sa juste valeur le travail qui fait sens, le travail qui contribue à rendre le monde plus juste qu’il ne le serait sans la société. Le champion qui vit de la mise en scène de ses efforts a bien souvent moins de mérite que le travailleur qui sue en silence.
La compétition n’a aucune finalité sociale ou contemplative. Etre rapide, être fort, pour quoi faire? A quoi bon se fatiguer à être le meilleur? L’avidité de l’égo ne mérite pas le sacrifice de la sérénité.
Certains considèrent que la valeur d’un individu réside dans son action; et que quelqu’un qui agit beaucoup est forcément plus respectable que celui qui ne fait rien. Mais lorsqu’on fait du sport dans un état d’esprit compétitif, on ne lit pas, on ne réfléchit pas, on ne contemple pas, on ne fait qu’épuiser un capital de vitalité, un capital qui pourrait être mis au service de bien plus honorables causes; de la rêverie, par exemple. Apprendre la contemplation, c’est précisément désapprendre la compétition. Et sur le plan environnemental, il est indéniable que ne rien faire est bien plus raisonnable que de se débattre pour rien.
Les dernières voitures « Gazzeta dello Sport » passent, on me jette un sac de bonbons en pleine figure. Vaine agitation.
*

Il me semble avoir vu Vérone et Venise, je n’en ai qu’un vague souvenir, un souvenir peut-être similaire à celui que me laisserait un parc d’attraction, le souvenir d’un « Au Secours, y a-t-il des êtres humains au sein de cette foule? Prenons la fuite! ». Faire pénétrer le réel dans un lieu rêvé, c’est comme faire entrer un éléphant dans un magasin de porcelaines: pas très judicieux et dévastateur.
Puis - enfin! -, j’arrive au bord de la mer, de l’Adriatique! Je la cherche, je ne la trouve pas. Des rangées d’hôtels font obstacle. Je me faufile dans une petite ruelle. Je slalome entre des poubelles, ça sent le poisson et la friture, j’aperçois la plage. Elle est recouverte de transats à vingt euros l’heure. Je suis face à l’Adriatique, j’attends ce moment depuis des années, et je n’éprouve rien, aucune émotion esthétique. Je pousse mon vélo entre deux rangées de transats, histoire d’aller toucher cette mer qui me faisait rêver. Un type torse nu vient me voir et me demande de partir: c’est privé. Je continue à avancer en lui disant: « Non! Vous n’avez pas le droit de m’interdire d’être là! – Comment ça, pas le droit? ». Il essaie de soulever mon vélo pour le renverser. Heureusement, cinquante kilos, c’est un peu lourd. Je fais demi-tour; de toute façon, je n’en ai rien à faire de sa plage… Je voudrais me battre à coups de mots pour lui expliquer en quoi il est illégitime de privatiser la nature. Mais bon, j’ai la flemme; et puis, c’est trop tard, le mal est fait.
En fin d’après-midi, j’arrive à Trieste, ville la plus à l’Est de l’Italie. Il y a beaucoup de voitures, l’atmosphère est lourde, étouffante, je dégouline de sueur. Je ne supporte plus cette transpiration qui me colle à la peau, cet air irrespirable, ce brouhaha routier. Je ne songe qu’à une seule chose: être ailleurs, mais avant de fuir, étant en sortie de carte, je dois impérativement en trouver une nouvelle; de quel pays, je ne sais pas trop. Depuis mon départ, outre mes cartes d’Italie, j’ai avec moi un petit atlas d’Europe, il a la taille d’une demi-feuille A4 et contient 24 pages. Sur cet atlas, il n’y a en Italie que six villes, et encore moins dans les pays voisins. C’est un peu juste pour tracer un itinéraire, pour s’orienter avec précision; toutefois, presque quotidiennement, je consulte attentivement deux cartes de ce petit atlas, celle des « Reliefs de l’Europe Physique » et celle des densités de population; ces cartes sont toutes petites – je dois avancer d’à peine un millimètre par jour -, mais elles me donnent de précieuses indications, et me permettent d’éviter avec plus ou moins d’habileté les reliefs trop exigeants et les centres urbains trop peuplés. De Trieste, je peux aller vers les montagnes de l’Autriche, vers la Hongrie, ses plaines et son lac Balaton ou bien vers la Croatie, ses îles et ses collines. Je finis par trouver dans les fins fonds d’un supermarché une vielle carte Slovenija, Croatia, 1 : 300 000. J’hésite avant de l’acheter, un peu, pas tellement. Je la déplie discrètement: toutes ces îles sans grandes villes, elles paraissent si vertes, si vallonnées, si sauvages, et toutes ces liaisons en bateau! Je passe en caisse: c’est décidé, je vais en Croatie!
J’essaie de quitter la dernière ville d’Italie et échoue lamentablement à maintes reprises, finissant systématiquement coincé entre la zone industrielle portuaire et l’autoroute, au fond d’une impasse, face à un mur de déchets. Je tourne en rond. Dans un coin paumé du port, un vieil homme assis à côté de son petit abri fait de bric et de broc finit par me remarquer, il m’interpelle: « Hey man, where do you come from? ». Il m’offre un verre de vin, le verre est très grand, et ingurgiter une telle quantité d’alcool ne m’enthousiasme guère. Je n’ose pas refuser et suivant son exemple, je bois d’un trait. Il insiste pour remplir à nouveau mon verre. Cette fois, je compte ne pas me faire piéger et reste vigilant, je bois tout doucement, à petites gorgées. Il m’explique que lui aussi voudrait voyager à vélo, qu’il était justement en train d’y penser et que ma présence en ces lieux est probablement un signe du destin. Il me pose plein de questions techniques sur les voyages à vélo; avec mon anglais peu assuré et peu compréhensible, je lui réponds comme je peux, et lui fait ce qu’il peut pour me comprendre. Puis, il me parle de son pays d’enfance, le Portugal. Il faudrait vraiment qu’il y retourne. Il a presque la larme à l’œil lorsqu’il évoque les plages désertes de sable fin, les grandes vagues et les barbecues qu’il faisait avec ses grands frères. Ce serait tellement beau d’y retourner; et qui plus est à vélo.
C’est grâce aux minutieuses indications de ce clochard rêveur et un peu ivre que je parviens à quitter Trieste. Très vite, ça se désurbanise, je sens mes poumons se remplir d’un parfum de liberté. Adieu monde industriel!
Peu avant la tombée de la nuit, je roule sur une petite route qui borde la mer. Il n’y a pas de voitures, pas de maisons, pas de béton, seulement le bruit des vagues, un grand calme, la douceur d’un soir d’été. C’est la fin de l’Italie, j’entre en Slovénie. Un nouveau voyage commence, j’en ai l’espoir, la conviction.
*

Colline après colline, je chemine à travers une nature généreuse et intacte. A mon grand étonnement, je finis par tomber sur une minuscule bourgade: la Slovénie n’est donc pas déserte. Il y a même une boîte aux lettres et un petit commerce. C’est dans ce petit commerce que je rencontre l’unique être humain croisé au cours de ma traversée du pays, une personne charmante et d’une grande gentillesse qui, me voyant lorgner sur les bananes, va jusqu’à insister pour m’en offrir tout un régiment, et qui, par cet acte, conforte mon présupposé selon lequel les slovènes sont vraiment adorables.
Slovénie, joli souvenir. A vrai dire, en deux petites heures, je n’ai pas vraiment le temps de trouver à ce charmant pays un quelconque défaut; et c’est sur une petite route descendante que je suis peut-être le seul à fréquenter en ce jour, que, seulement une trentaine de kilomètres après avoir franchi la frontière italo-slovène, je passe le panneau « Hrvatska, 1 km ». Mon rythme cardiaque s’accélère, je m’apprête à sortir de l’Espace Schengen, carrément! Pour moi et mon vélo, ce n’est pas rien, c’est une grande première, et j’ai d’ailleurs un peu d’appréhension. Les croates vont-ils facilement m’accepter ? Auront-ils la gentillesse de me laisser entrer? Je redoute le pire: iront-ils jusqu’à scier le cadre de mon vélo pour voir si je n’y aurais pas dissimulé du cannabis, de l’héroïne, des amphétamines? J’approche du poste de douane slovène. Un vieux monsieur est assis dans le bureau. A travers la grande vitre qui nous sépare, je le regarde, il me regarde. Il n’y a pas de barrière, ça descend, j’hésite à donner un coup de frein, il semble ne rien attendre de moi. Lorsqu’il comprend que je n’ai pas l’intention de m’arrêter, il saute de sa chaise et me crie après. Obéissant, je reviens sur mes pas. Dégoulinant de sueur, il ne dit pas un mot, scanne mon passeport et me laisse filer. Le douanier croate, lui, se contente d’un hochement de tête.
Plutôt que de longer le littoral dentelé de la péninsule d’Istra, je préfère couper en diagonale par l’intérieur des terres pour, premièrement, être moins dérangé par les touristes, et deuxièmement, arriver le plus rapidement possible à Brestova. Ma carte Slovenija, Croatia m’indique que de Brestova, je pourrai prendre un ferry qui en une demi-heure me conduira sur la grande île de Cres.
Peu après la frontière, un chien sauvage traverse la route. Il s’arrête, me regarde, mon cœur bondit. Que va-t-il faire? D’un coup, tout me revient en tête: je me souviens de mes lectures sur Internet durant les longues soirées d’hiver, je songeais déjà vaguement à aller explorer les Balkans; Gégé84 m’avait averti: attention aux chiens sauvages, ils courent après les vélos et peuvent mordre, il terminait son message par un terrifiant: « ça fait grave flipper ». C’est à partir de ce moment, me semble-t-il, que j’ai commencé à redouter les chiens sauvages, ces redoutables monstres dévoreurs de mollets. Me voici donc pour la première fois face à l’un d’eux, et c’est un beau spécimen. Je sais qu’en cas de morsure, je devrai impérativement laver la plaie, la désinfecter, avaler trois grammes d’amoxicilline, et trouver le plus rapidement possible un centre contre la rage pour me faire vacciner à J0, J7 et J28. Mon timing ne m’autorise pas un tel contretemps, j’ai trop peu d’argent, trop peu de semaines de liberté pour me payer le luxe de rester clouer un mois au même endroit. Une morsure de chien tronquerait trop lourdement mon voyage, me ferait perdre ma dynamique. Je n’ai pas le droit à l’erreur; ce voyage, j’y tiens: si je ne faiblis pas la cadence, je peux espérer conquérir le Monténégro, l’Albanie, la Grèce, la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie, la Hongrie voire même tout un tas d’autres pays. Ce serait trop bête qu’un chien errant mette fin à tout mon petit rêve. Plus tard, je n’aurai peut-être jamais plus ni l’occasion ni la motivation de me lancer à nouveau dans un voyage pareil. Je ralentis, le chien est à cinq mètres de moi, je n’ose plus avancer. Que va-t-il faire? Montrer les crocs, aboyer, me sauter dessus? Que dois-je faire? Forcer le passage, hurler, lui jeter mon casque à la figure, faire comme si de rien n’était, siffloter? Las, il détourne la tête et poursuit son chemin. Pour cette fois, je suis sauvé, mais je vis désormais avec la hantise du chien sauvage.
La végétation est rare, le paysage désertique, aride, c’est un peu comme si le soleil avait tout cramé. Le ciel d’un bleu profond, d’un bleu presque hivernal contraste joliment avec l’ocre brûlant des collines. Le tableau me charme, mais, pour mon petit corps fragile, le relief est vraiment indigeste: ça grimpe sec, je mouline dans le vide, j’avance à peine, je sue comme un ruisseau. Très vite, d’un œil inquiet, je commence à regarder mes bouteilles se vider. De Koper à Brestova, il y a bien quelques petits points sur ma carte, mais je doute que ce soient à proprement parler des villages. Après avoir pédalé des dizaines de kilomètres sans croiser la moindre trace de vie humaine, un panneau « Market, 3 km » me redonne espoir. J’arrive dans un petit hameau, je me demande s’il est habité. Je cherche longuement le market au milieu d’une petite dizaine de maisons. Je finis par remarquer un écriteau au-dessus d’une porte: c’est le market. Il n’est ouvert que le mardi et le jeudi de onze heures à quatorze heures. Je m’assois à l’ombre en espérant qu’un être humain passe. Un serpent, deux poules traversent la vieille route toute cabossée.
Si mon réchaud fonctionnait encore, si j’avais eu l’intelligence d’emporter des pastilles d’hydroclonazone, j’aurais pu me lancer dans une opération de potabilisation d’eau, et la moindre flaque aurait fait l’affaire. Mais démuni, la prudence m’impose de trouver de l’eau embouteillée; et où trouver de l’eau embouteillée dans ce désert?
Ma bouche devient pâteuse, mes jambes mollissent, mon esprit s’embrume, l’horizon perd sa netteté. Je suis assoiffé, et Brestova me paraît si lointaine.
Posé au milieu de nulle part, je finis par trouver un petit bar. Je rentre, il n’y a personne. Les volets sont tous fermés, une télé diffuse des clips MTV. J’attends sagement; au bout de quelques minutes, je me décide à prendre le risque de pousser une grande porte et découvre trois êtres humains! Avec un peu de réticence, la serveuse accepte mes euros contre une bouteille d’eau. Elle n’hésite pas à me prendre un billet, mais je ne rechigne pas… un peu plus, et j’aurais pu aller jusqu’à donner mon vélo pour un verre d’eau. En profitant de la climatisation, je bois ma bouteille, et regarde deux vieux bonhommes jouer nonchalamment au billard. D’où viennent-ils? Il n’y aucune voiture dehors, et en cinquante kilomètres, je n’ai pas croisé plus de trois maisons. Mystérieux pays.
La mer n’est plus très loin. Sur une colline qui tranche par sa toute belle verdoyance, j’entends des bruits graves et étranges, envoûtants. Je m’en rapproche et finis par apercevoir sur un rocher surplombant ma petite route un homme barbu qui, les cheveux pleins de fleurs, souffle dans ce qui me paraît être un tronc d’arbre creux, poli, long et mince. Il me fait de grands signes. Je lui fais coucou de la tête, et un peu hésitant, je me demande s’il faut que je m’arrête. Il saute de son rocher et se met devant mon vélo. Il m’offre un petit gâteau en me présentant son didgeridoo. A la manière d’un arc, il attache son instrument sur son dos, et se met à courir devant moi en me montrant le chemin. Il m’inspire confiance, je le suis. Il y a plein de gros cailloux; et, peu habile avec mon gros vélo, je me casse la figure à de nombreuses reprises. Lui, plein de gaieté, continue à courir loin devant en me criant plein de choses que je ne comprends pas. Ca grimpe, nous arrivons au sommet de la colline, l’azur de la mer s’étend à l’infini, il pointe du doigt une sublime petite crique au creux de laquelle un voilier est amarré avant de me lancer d’un air rêveur: « It’s mine! ».
Le sentier devient raide et étroit, je dois continuer à pied. Je cache mon vélo derrière un petit fourré, et, à l’aide de mes deux antivols mastodontesques, l’accroche consciencieusement à une petite racine toute chétive – je ne trouve pas mieux. Je ne suis pas tranquille: « Et si on me volait mon vélo, devrais-je mettre fin à mon voyage? Que ferais-je? Que deviendrais-je? ». Je détache toutes mes sacoches, et me mets en bandoulière autour du cou le sac à gravats qui contient ma tente et mon sac de couchage. Dam me dit que je peux tout laisser ici, qu’il n’y a pas de voleurs en Croatie. Avec de grands gestes incompréhensibles, j’essaie de lui expliquer à quel point je suis attaché à mon matériel – c’est tout que ce j’ai, ma maison, ma vie, ma bohème.
Franchissant ronces et rochers, la descente en sandales avec tout mon barda est un peu laborieuse, j’ai la vague impression de manquer d’allure, et je sens que Dam se moque gentiment de moi. En ces instants où la mer semble enfin s’offrir à moi, je songe bêtement à mon compteur de kilomètres. Il ne tourne plus, ma moyenne journalière va baisser. Je me trouve idiot de me préoccuper d’un tel détail face à un tel décor. Il faudrait vraiment que j’apprenne à apprécier la beauté du monde, et que je me retire de la tête cet irrépressible désir de performance. La nature est calme, resplendissante, le ciel parfaitement bleu, sublime; et moi, je pense à mon compteur, à un petit cadran gris!
Nous arrivons au bord de la mer! La plage est joliment tapissée de galets. Alors que le voilier attend paisiblement à quelques dizaines de mètres du rivage, devant une petite tente câlinement décorée, la femme de Dam, Floria, fait la lecture à la petite Milijan.
Dans un crépuscule naissant, face à la mer qui déroule ses vagues mordorées, Dam allume un petit feu, puis sort fièrement de l’eau une grosse bourriche pleine de poissons. Je crois deviner que ce qu’il crie en croate avec un enthousiasme vraiment communicatif à une signification proche d’un « Ce soir, c’est poisson grillé à volonté! ».
Floria parle un français maladroit, elle joue la traductrice et hésite longtemps avant de prononcer certains mots. Farouche, Milijan s’est réfugiée dans la tente. Elle nous écoute, et dès que je prononce un mot français, elle sort la tête de la petite abside et le répète à voix haute en rigolant: « Baguette », « Camembert »… Attirée par l’odeur du poisson grillé, elle finit par se joindre à nous. Moi, je suis un peu comme Milijan, je répète les mots croates, je les trouve étranges et m’en amuse. Je suis souvent maladroit dans ma prononciation, ça fait rire Milijan et sourire ses parents. La soirée s’écoule ainsi, tout doucement.
Puis la nuit tombe. Jusqu’alors, je ne me soupçonnais pas que le ciel soit si riche en étoiles. Dam se lève, saisit un grand bâton, et comme un professeur d’astronomie nous montre les constellations. Elles ont de si jolis noms en Croatie!
Charmé par le crépitement du feu, bercé par le bruit des vagues, mes paupières se ferment toutes seules. C’est la première fois que je dors à la belle étoile. Altitude: zéro, un commencement.
*
A peine sortis de la crique, au beau milieu de la mer, une multitude de jolies petites collines toutes vertes fait éruption. Dam, qui a eu la gentillesse de me proposer son aide dans l’entreprise périlleuse de la descente de mon vélo jusqu’à la plage, insiste pour m’emmener jusqu’à la pointe septentrionale de l’île de Cres. Sur le coup, je n’hésite pas; il serait vraiment peu courtois de refuser un tel cadeau; mais sur le bateau, je sens comme un petit regret qui me tiraille le cœur. Jusqu’à cette crique, j’ai accompli tout mon voyage à la force de mes mollets. Sur les prochains kilomètres, le bateau fera le travail à ma place, et le soir, je ne pourrai désormais plus regarder ma carte d’Europe en me disant: « J’ai traversé tout ça à vélo, et rien qu’à vélo ». Tant pis pour mon égo, je me résous à n’être qu’un petit joueur. Si j’avais eu du panache, j’aurais pu construire un radeau, installer mon vélo dessus, et nager jusqu’à Cres en poussant le radeau. L’idée me traverse l’esprit, et peu avant de lever l’ancre, j’hésite à sauter du voilier. Je me retiens. Allons, tout de même.
Dam, Floria et Milijan ont l’air de si bien se sentir en mer que j’ai du mal à les imaginer vivre sur la terre ferme. Peut-être que ce voilier est leur unique maison; à vrai dire, je n’ai pas bien compris - ça me semblerait tout naturel, car à quoi bon s’encombrer d’une autre demeure? A trop vouloir posséder, on finit par se faire posséder.
Je me sens un peu triste de me séparer d’eux si vite. Voyager, c’est apprendre la séparation, c’est apprendre à accepter qu’il n’y ait pas de revoir, c’est apprendre à dire Adieu. C’est peut-être mieux de ne pas s’attacher – peut-être? -, car dans la vie, tout est éphémère; et au bout du compte, on finit toujours par porter le deuil de nos attaches. Et puis, pour vivre libre, il faut savoir se détacher. Toutefois, chemin faisant, je commence à me demander si la liberté est vraiment ce que je recherche par-dessus tout.
*
Le port de Cres est désert. Il y a un quai, une route – une seule -, des arbres tout autour, et c’est tout. Pas de maison, pas d’être humain, pas un chat. Dans le silence, à mesure que, par les collines sauvages, je m’élève au-dessus de la mer, l’horizon s’étend, et apparaissent au loin de nouvelles îles révélant l’archipel. De si beaux moments sont si rares et si précieux qu’il faut impérativement que j’en profite; contempler est une urgence. Je me cale à l’ombre contre un tronc d’arbre et me concentre sur le paysage, je m’efforce d’être à la hauteur du lieu et de sa somptuosité, puis finis par m’assoupir.
En ouvrant les paupières, je me retrouve nez à nez avec un serpent. Entre lui et la prunelle de mes yeux, il doit y avoir tout juste de quoi intercaler dix petites fourmis. Mon sang se glace, je sursaute, il file, j’entends un gros bruit derrière moi, je me retourne: un cochon sauvage! Il a le museau dans une de mes sacoches, bloque dans sa gueule mon régiment de bananes et déguerpit. Le cochon a trifouillé dans toutes mes sacoches, c’est le désordre, et je n’ai plus grand-chose à manger. Subitement, l’absence de civilisation m’angoisse, je m’imagine déjà à l’agonie, mourant de faim, n’être plus que charogne. Je vois déjà les vautours en cercle autour de mon ventre, aspirant goulument mes intestins.
Finalement, je parviens à rallier sans trop de difficultés le village qui a lui seul semble concentrer toute l’activité anthropique de l’île. Tout paniqué, cinq minutes avant la fermeture, j’entre dans une charmante petite échoppe, je fais le plein. Le vieux couple tenant la boutique me regarde avec de grands yeux: avec mon accoutrement de cycliste, mon cuissard, mon casque, j’ai subitement l’impression de ressembler à un martien. J’achète des kilos de pâtes, de pains, de bananes… Vraiment, leur regard est interrogateur: m’occuperais-je d’une colonie de vacances? Dans cette tenue, tout de même… Puis, ils me font un sourire et m’offrent un kilo de sauce tomate.
Dans le village de Cres, il y a quelques campings, un petit port de plaisance autour duquel des dizaines d’allemands mangent des moules frites en terrasse. Sous le choc de la civilisation, tout hébété, pédaloulliant sur le port, je me fais héler par un marin qui m’invite à boire un coup à bord de son grand navire tout en bois. C’est le capitaine, son moussaillon est avec lui. Ils me remplissent de vin rouge un verre gros comme un œuf de diplodocus. Chaque jour, ils emmènent des touristes jusqu’à de petites criques paradisiaques. Un peu lassé par la monotonie de la météo, je leur demande si le ciel est bleu tous les jours, ils me répondent que oui. Leur anglais est si impeccable que je me sens un peu ridicule avec mes balbutiements. Très vite, je comprends qu’ils aiment leur travail, j’essaie de les faire parler, mais il n’y a rien à faire: ils s’intéressent à mon voyage, me posent plein de questions désespérément complexes, et écoutent avec une attention déconcertante mes réponses; ce qui m’oblige à élaborer de laborieuses contorsions linguistiques franco-anglophones; desquelles, un peu alcoolisé, j’ai beaucoup de mal à me dépêtrer. Je les quitte en zigzagant. Décidément, le verre était énorme.
*
Une fois ravitaillé, je prends mes distances et retrouve le calme de la nature. Je me sens si bien sur ma petite île. Le matin, réveillé par la chaleur, je sors de ma tente, je m’assois au bord des vaguelettes sur une plage déserte; les pieds dans l’eau, je mange mes céréales noyées dans ma casserole de lait en fixant l’horizon, imperceptible ligne départageant l’azur du ciel du bleu de la mer. Dans ce paysage impeccablement paisible, aucun trouble ne vient effleurer mon esprit, je me sens si léger, si apaisé. En somme, au petit jour, je n’ai qu’à ouvrir les paupières pour trouver l’équilibre parfait, tout effort est inutile, et une fois mon petit-déjeuner terminé, je n’ai aucune raison vraiment valable de me remettre en mouvement. Et pourtant, insatiable, je remonte sur mon vélo.
En mon for intérieur, je me sens constamment chahuté, car si d’un côté, je rêve de mener une vie contemplative; de l'autre, j’aime avoir le sentiment d’aller au bout de moi-même; et au fil des jours, je commence à ressentir de plus en plus vivement un manque, j’ai l’impression de devenir inutile… étonnamment, je souffre de ne plus travailler; et il me semble que pour atténuer cette frustration, je transforme le pédalage en travail, en un travail artisanal, mécanique, un travail que j’aime et que je prends au sérieux. Par l’effort, je ressens mon existence, je lui donne du relief, je la valorise. Le soir, j’inscris sur mon carnet mon kilométrage, et je calcule ma moyenne journalière depuis le début du voyage. J’extrapole cette moyenne pour faire une prévision kilométrique mensuelle, et je compare cette prévision à mon objectif. Une fois le bilan de la journée accompli, quel bonheur de m’endormir en quelques secondes, vidé de toute énergie avec la simple conscience d’avoir fait du beau boulot.
Je suis très excité par l’idée d’enfin savoir jusqu’où je pourrai pousser la machine: trois mille, trois mille cinq, quatre mille, cinq mille kilomètres par mois? Bref, j’ai besoin de tester mes limites, et l’Europe est un vaste terrain de jeu que je me dois de parcourir à vive allure. Je suis une particule chargée d’énergie, je me dois d’être en mouvement. Peut-être est-il nécessaire de longuement cheminer avant d’atteindre la Sagesse. Plus tard, avec le poids des années, je serai freiné dans ma course et pourrai sans doute entrer en orbite autour d’une étoile, ce sera le bel âge de la contemplation. Peut-être alors serai-je comme Diogène: inexorablement heureux à la simple idée de tourner autour du soleil et d’être éclairé par sa lumière.
*
Conquérir un lieu by fair means, c’est le conquérir par ses propres moyens, sans se faire assister d’un moteur, sans être dépendant du pétrole, de l’électricité, sans exploiter un animal, sans exploiter la nature. Voyager by fair means, c’est partir de chez soi à pied ou à vélo, avancer lentement, avancer à la force de ses muscles, avancer à la force de ses rêves, prêter attention aux petits détails qui composent le monde; vivre en harmonie avec la nature, avoir le souci de la respecter; puis arriver dans un lieu rêvé en ayant le sentiment de l’avoir mérité.
Quelle défaite, car franchement, qu’est-ce que - moi qui, avec mon petit vélo, me bats à coups de pédales depuis tant d’années contre vents et averses pour la cause du by fair means - suis-je au juste en train de faire sous les cheminées d’un ferry, accoudé à la rambarde, occupé à regarder au loin des îles disparaître dans les couleurs du couchant? Qui suis-je donc devenu pour abandonner avec aussi peu de scrupules mes principes, mon panache? Avec de la volonté, j’aurais pu quitter l’île proprement, chercher un gentil skipper pour me mener au continent en voilier. Allez, tant pis, je ne suis qu’un type ordinaire qui préfère être paisiblement mené en bateau plutôt que de s’épuiser à ramer pour ses idéaux. Et puis, seul du haut de ce gros tas de ferrailles flottant, le couchant est tellement beau, tellement somptueux qu’il serait ridicule de laisser des remords me ronger le cœur.
Une fois la nuit tombée, allongé sur le pont, je me demande tout de même s’il est si raisonnable de quitter le paradis pour rejoindre la Terre. Puis, je débarque.
*
La D8 longe le littoral de Zadar à la frontière albanaise, elle offre de beaux panoramas sur la Mer Adriatique et sur quelques îles, la circulation automobile y est relativement faible. Le littoral croate est encore très bien préservé, la roche et la végétation y règnent paisiblement. D’ici quelques décennies, ce littoral sera sans doute recouvert de béton. Après avoir détruit la Côte d’Azur, une grande partie des bords de mer italiens et espagnols, les spéculateurs immobiliers chercheront de nouveaux territoires, et la Croatie est une belle proie. Pauvre littoral, si beau et si fragile. Je n’arrive pas à m’en détacher, et peu à peu, je me résous à le longer au moins jusqu’à la Bosnie-Herzégovine.
Un après-midi, sous le cagnard, je rattrape un jeune gaillard planté dans un des innombrables raidars de la D8. Coiffé d’un chapeau de paille, il pousse un vélo de grand-mère chargé de deux sacoches datant d’un siècle lointain. Tout étonné de croiser un voyageur à vélo, il se dépêche de me lancer avec un accent typiquement français: « Hey! Where do you come from? – De France, toi aussi?». Essoufflé, au bord de l’asphyxie, je lui explique que de peur de tomber, je ne peux pas m’arrêter en pleine pente. Il me crie: « Rattrape les autres, et dis-leur que j’ai envie de me baigner! » Les autres, ce sont deux jeunes étudiants français (dont l’un est en préparation d’examen) et leur compagnon de fortune, Jens, un allemand polyglotte lancé dans un audacieux « Tour du Monde ». C’est en compagnie de cette petite bande que débute ma courte initiation au vélo-plage: une heure de pédalage, une heure de baignade, une heure de pédalage, deux heures de baignade, une heure de pédalage, trois heures de baignade… et pour clore la journée: tout faire pour trouver une télé dans un camping paumé, l’installer dans le coffre d’une vieille voiture, la brancher à la batterie, et regarder le match de la coupe du monde de football: France – Mexique assis en tailleur face au cul d’une Renault 5 en mangeant du riz à la sauce tomate. Match qui fera bien rire deux croates assis à nos côtés à siroter leur bière. 2-0 pour le Mexique, mes camarades sont dépités; toutefois, Jens reste philosophe: « Les allemands ont gagné leur dernier match 4-0! ».
On installe le campement. Les trois petits français dorment serrés comme des sardines dans une tente de mômes achetée à Carrefour, une tente très mal aérée. Durant la nuit, incommodés par des odeurs trop prégnantes pour se faire oublier, je les entends à de nombreuses reprises exprimer leur inconfort: «Ah, tu pues des pieds!», «Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas qu’on ouvre?». C’est leur avant dernier jour de vacances. A Dubrovnik, ils reprendront l’avion pour la France.
Le lendemain, je pédale avec Jens. Du haut de son mètre quatre-vingt dix, il voit les choses en grand. Son vélo m’impressionne, c’est un petit bijou de technologie. GPS, moyeu Rohloff, pneus Schwalbe Marathon XR… et cerise sur le gâteau, à l’arrière de la monture, un grand drapeau « Bike Ambassador » flotte dans les airs. Jens s’arrête régulièrement pour prendre des photos des îles bordant le littoral. Chaque prise dure environ dix minutes, car son appareil est hautement sophistiqué et prend plusieurs clichés d’une même vue, puis combine ces clichés pour faire ressortir le relief du paysage. Bref, à chaque fois que Jens prend une photo, ça dure une plombe, et on a le temps de discuter. Il me parle de la magie de Sarajevo, des cascades de Bosnie. Il me demande par où je compte passer, si j’ai peur de l’Albanie. Il est parti de Lisbonne il y a quatre mois, et trouve que j’avance très vite; il n’ose pas me dire trop vite. Normalement, si tout se passe comme il l’entend, il devrait réussir à voyager deux ans autour du monde. Pour cela, il ne faut pas qu’il dépense plus de vingt euros par jour, et, en bon vivant, il a parfois un peu de mal à se limiter. Aujourd’hui, il compte s’arrêter à Dubrovnik et m’apprend que ce n’est ni plus ni moins que La Perle de l’Adriatique. Il compte rester deux ou trois jours là-bas. N’avancer que de vingt kilomètres en trois jours est tout simplement inconcevable pour moi, et il ne me vient pas vraiment à l’esprit de le suivre. Je suis bien tout seul, je vais à mon rythme, je vis mon aventure et, dans l’immédiat, je ne souhaite pas réintégrer la société, pas même pour visiter La Perle de l’Adriatique.
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« A la manière de ces grandes crevasses qu’un orage, en une seule nuit, creuse quelques fois dans les montagnes », mon voyage a, en quelques jours, ouvert une grande brèche dans ma vie, et depuis mon départ, mon regard, mes attentes, mes idéaux ont changé.
J’en ai assez! Assez des cuissards trop serrés, assez des maillots synthétiques qui puent la sueur, assez de tourner les jambes en rond, assez de rester collé au bitume, assez de respirer les émanations des pots d’échappement, assez d’entendre le vrombissement des moteurs, assez de cette tension nerveuse qui s’empare de moi à chaque fois qu’une voiture me double. Je dois abandonner cette routine, m’extraire de tout ce ramdam inhérent à la vie de cycliste. Mon corps souffre trop d’être cloué à l’acier, et je rêve de lui rendre sa liberté. De marcher. Le coup de pédale est toujours identique à lui-même, le pas du marcheur ne l’est jamais.
A partir du moment où l’on prend conscience que la destination est sans importance, que le regard doit guider le pas, la lenteur n’est plus un frein, mais bien au contraire la clé d’un voyage. A deux roues, l’approche du monde est trop superficielle, je dois rester sur la route; et la route, finalement, ce n’est pas si intéressant, ce n’est qu’un territoire inhabité. Et même si le vélo a pour lui la relative richesse de sa relative lenteur, il n’en demeure pas moins qu’en pédalant une fleur n’est pas beaucoup plus qu’une simple tâche de couleur dépourvue de senteur, alors qu’en marchant…
Bien souvent, en début d’après-midi, je me sens comme anéanti par le restant de la journée. Toute cette chaleur à supporter, tous ces coups de pédale à donner, quelle lassitude, et dans ces moments, je songe à un autre voyage… marchant au grand air, seul en pleine nature. A pied, un jour, peut-être, par les petits sentiers, je partirai vers les montagnes… qui sait jusqu’où? La Suisse, l’Autriche, la Suède, le Cerle Polaire? Les montagnes… les alpages, les lacs, les forêts, les fleurs – les trolls, les jonquilles, les lys martagon, les edelweiss! -, les glaciers, les marmottes, les chamois, les bouquetins, les ciels tristes, les grandes plaines sauvages, le vent, l’Océan, les fjords, les élans! Toutes ces choses se mélangent dans ma tête; et si mon corps reste scotché aux routes monotones et arides, mon esprit, lui, est ailleurs; et loin de l’asphalte, mon imagination voyage.
Autrefois, l’autre bout du monde, c’était tout un poème, mille romans; maintenant, ce n’est plus grand-chose, un sinistre billet d’avion, un doigt qui appuie sur un bouton. Epoque grouillante, meurtrière abolissant les espaces et les rêves. Pour mieux connaître le monde, il n’est pas nécessaire de parcourir de long en large de vastes espaces, mais bien au contraire, il faut plutôt apprendre à s’arrêter, à approfondir le détail par le regard. Habiter, et non plus traverser. Loin de la société, seul en pleine nature, je foulerai la terre, et partirai à la reconquête d’un univers à taille humaine, d’un univers inépuisable, plus grand que des millions d’années de marche. Et ce rêve-là, c’est en pédalant que je le construis, les voyages se nourrissent de voyages.
Etre auprès de la nature, c’est une façon de s’éloigner des choses futiles qui pèsent sur l’esprit, de s’alléger. Loin de la société, je perdrai peu, car au-delà du langage qui structure la pensée, la culture me paraît globalement insignifiante, cosmétique. Les êtres humains ont tous le cœur placé au même endroit; et au fond, je crois que pour un italien, un slovène, un croate, un chinois ou un français, les sujets de discussions, les préoccupations, les espoirs, les révoltes dépendent beaucoup plus des émotions qui constituent la nature humaine que des vapeurs fugaces et éparses qui l’entourent.
Trêve de manichéisme, malgré ce changement de perspectives, même si je sais désormais que le vélo ne sera pas toute ma vie, que plus tard, je m’orienterai vers une approche plus lente du monde, je suis encore loin de vouloir renoncer à mon voyage, et je reste tout excité à l’idée de découvrir de nouveaux territoires. Pédaler n’est pas une passion, mais tout de même, quel beau moyen d’exprimer sa liberté. Je me souviendrai toujours de mes premières envolées, de ces précieux instants où, seul avec mon vélo, j’ai découvert le Col de la Bataille, le Plateau d’Emparis, l’Iseran, le Galibier, tous ces sommets qui côtoient les glaciers… Dans ces grands espaces atteints après plusieurs heures d’efforts, je ressentais un profond sentiment de liberté, j’avais l’impression d’être si loin, au bout du monde, hors du temps, dans un espace magique et secret. C’est le souvenir de mes premières émotions à vélo qui a fait germer en moi l’idée d’un voyage à travers des pays lointains. Ce qui motive chacun de mes coups de pédale, c’est l’espoir d’être émerveillé. Même si à l’instant présent, chaque tour de jambes fait frotter l’élastique de mon cuissard contre ma peau et m’irrite jusqu’au sang; même si à l’instant présent, je me vide de sueur, je souffre, je crame, je n’en peux plus, je ne pense à rien, il y a toujours en moi cette croyance selon laquelle, mes efforts récompensés, je finirai par atteindre un lieu somptueux, un grand quelque chose qui m’émerveillera. Et en pédalant, je garde toujours dans un coin de ma tête le petit kaléidoscope qui, tout en lenteur, fait défiler tous les lieux susceptibles de devenir ce grand quelque chose: les Collines d’Albanie, la Grèce, l’Acropole, la Turquie, Istanbul, la Mosquée Sainte Sophie… Si à pied, l’avenir est un champ infini de possibilités; à vélo, ce champ est fini, mais reste immense.
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Les panneaux routiers sont, pour la plupart, troués par balles, et de temps à autre, indiquent la présence de mines antipersonnel. Je m’imagine mal le poids des guerres et des souffrances dont sont chargés les paysages que je traverse, je cherche de la beauté là où d’autres ont vécu des atrocités. J’ai du mal à savoir ce que contient le regard des gens. Mon ignorance me met à l’aise, j’ai comme le sentiment d’être irrespectueux, de profaner.
Comme des cicatrices du passé, les frontières sont nombreuses, les territoires morcelés; et lorsque l’on longe le littoral, une très fine branche de Bosnie – Herzégovine vient couper la Croatie en deux, et permet aux bosniaques de ne pas être enclavés, d’avoir accès, sans sortir de leur pays, à quelques kilomètres de plages. Lorsque je passe la frontière, deux douaniers m’arrêtent, font le tour de mon vélo. Mon chargement les intrigue. Un gros sac à gravats vacille sur mon porte-bagages arrière; deux grosses sacoches sont situées de part et d’autre de chaque roue; chacune de ces sacoches est solidement fixée au cadre par deux tendeurs; d’usage double, chacun de ces tendeurs est utilisé pour serrer contre la surface extérieure des sacoches: bouteilles, bananes, paquets de gâteau, pain, vêtements à sécher, antivols… Tout ce fatras déconcerte les deux douaniers, je les sens circonspects. Serais-je un passeur de drogues? Vont-ils me demander de tout vider? L’un d’eux remarque un petit sachet noir fixé sous les rails de ma selle. Il le décroche, le palpe, l’ouvre prudemment en y mettant le nez, et respire l’odeur de ce qu’il contient. Ce dernier examen achève de les convaincre, puisqu’après m’avoir rendu mon sac de chaussettes sales, les deux douaniers me laissent immédiatement filer.
Désireux d’explorer la Bosnie, je m’enfonce quelque peu dans l’intérieur des terres, et découvre, au creux de douces petites collines toutes vertes, des ruisseaux reliant, entre eux, des lacs d’un bleu impeccable. Dans les Alpes, les reliefs sont hauts, déchirés, faits de falaises, de roches, d’éboulis… il s’en dégage une impression de puissance, de grandeur, une violence sublime à laquelle la vie résiste rarement. Ici, au contraire, je découvre des montagnes pleines de douceur, propices à la vie, l’eau abonde, la végétation est luxuriante, tout est proportionné, en équilibre; mon imagination serait bien incapable de concevoir des paysages plus harmonieux que ceux qui m’emplissent les rétines. Sur les hauteurs, je rencontre deux bosniaques contemplant ce spectacle; heureux, ils sont assis à l’ombre d’un bel arbre, ça leur suffit. Ils m’offrent des cerises, me parlent d’un village, là-bas, au pied d’une colline. Jamais plus, je ne retrouverai le goût de ces cerises, car elles étaient enrobées de tant de belles choses.
Je reprends ma route, traverse mon dernier bout de Croatie, et passe sans souci la frontière du Monténégro. Après un après-midi à rêvasser au bord de l’eau, je profite de la relative fraîcheur vespérale pour me remettre en selle, et avancer d’un grand trait. A tâtons, je me dirige vers le sud, la Nature m’abandonne. Très vite, autour de moi, c’est l’effervescence, les voitures klaxonnent, se multiplient, me doublent sans faire le moindre écart, font abstraction de ma priorité, du code de la route. Sur un trottoir opposé, un chien me voit, me court après, se fait renverser par une voiture, et repart en boitant. Je me retourne, un camion me coupe la route, je freine de toutes mes forces et l’évite d’extrême justesse. Un peu plus loin, deux jeunes croisent mon regard perdu, ça les fait rire aux éclats… les yeux écarquillés, stressé comme une souris de laboratoire, je m’imagine avoir l’air de débarquer d’un autre monde. Il se fait tard, je ne sais pas comment quitter cet environnement urbain, et je me vois mal planter ma tente dans ces quartiers saturés de voitures, de bruits, de chiens errants, d’enfants courant dans tous les sens. J’ai la mauvaise idée de m’extraire de cette vaste agglomération par une nationale. A la nuit tombée, vêtu de mon gilet jaune fluo, pédalant à toute allure pour que mes dynamos crachent le plus de lumière possible, je me retrouve très vite bloqué entre un flot intarissable de voitures folles et une falaise se jetant dans la mer. La route, vraiment très étroite, est interminable; pas de bande d’arrêt d’urgence; ça roule à vive allure, ça ne s’arrête pas, je n’ai aucune échappatoire. Comme un funambule, je suis pris au piège entre une broyeuse et le vide, je n’ai pas le droit à l’erreur, et je croise les doigts pour que les voitures ne commettent pas le moindre écart. Les coups de klaxons sont aussi bien réglés qu’un métronome, et à un intervalle de semblable régularité, la barrière de sécurité est défoncée, sans doute trouée par un véhicule qui a fait un saut dans le vide. Au loin, je devine deux policiers qui, à l’aide de lampes torches, font des gestes pour que les voitures ralentissent, l’une d’elle vient de louper un virage. C’est alors qu’un orage éclate, les nuages déversent des torrents sur la route, mes pneus perdent de leur adhérence; en ruisselant sur mon front, l’eau charrie jusqu’à mes yeux les résidus de crème solaire de la journée; et alors que je dois tenir plus fermement que jamais mon guidon, j’ai les yeux qui picotent, qui me démangent, mes paupières clignent, se ferment, mon pilotage devient de plus en plus approximatif, ça descend, je prends de la vitesse, je redoute la glissade fatale. Je suis perdu, terrifié, trempé, frigorifié, à bout de nerfs.
Beaucoup plus tard, loin de tout ce tohu-bohu, alors que je me ressaisis en mangeant des loukoums (faute de bananes), un monténégrin insomniaque m’interpelle, m’offre un verre de lait, et m’invite à planter ma tente dans son jardin. Pleinement soulagé d’être sain et sauf, je m’endors paisiblement.
(Je vous invite à changer de page pour lire la suite.)
Suite du texte
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6 commentaires:


  1. ....vite, vite la suite...  Trés bien écrit ... de l'humain , du coeur...

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  2. Allez Matthieu, courage! raconter ton aventure est aussi courageux que de l'avoir vécue!  c'est vraiment passionnant car tu nous fais voyager avec toi et maintenant comme dans un bon bouquin
    j'attends la suite!!!!

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  3. Très bien écrit, passionnant... bravo!

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  4. Je suis impatient de lire la suite... c'est très bien écrit, c'est une vraie ballade !


    merci


    eric 

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  5. Merci de tout coeur pour ce tres beau texte.Quelle belle aventure!

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  6. Merci de tout coeur à vous; en m'encourageant, vous m'incitez à continuer mon récit!



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